« Il y a une diminution importante des ressources en eaux de surface », selon le président du PNE-Bénin

Aucun pays n’échappe aujourd’hui aux impacts des changements climatiques. Mais plus que les autres parties du monde, l’Afrique de l’ouest est exposée aux manifestations du phénomène et son impact sur les ressources en eau est actuellement perceptible. Abel Afouda, professeur à l’UAC et président du PNE-Bénin, nous fait, à travers cette interview, l’état des lieux de nos ressources en eau et les conséquences et perturbations qu’elles connaissent. Si face à la variabilité climatique, il soutient qu’il faut « s’adapter ou périr », il suggère de mettre en place les bases solides d’une gestion durable des ressources en eau et d’une législation appropriée permettant de protéger les ressources et de mieux les répartir entre divers usagers. Par ailleurs, il met l’accent sur la contribution du Partenariat National de l’Eau du Bénin (PNE-Bénin) pour une gestion responsable des ressources en eau au Bénin.

Quel est l’état de nos ressources en eau dans le monde, en Afrique et au Bénin ?

Les ressources en eau mondiales sont évaluées à environ 1.365.106 de km3 mais les ressources en eau douce ne constituent qu’environ 2,5% de cette quantité, soit 35.106 km3 dont 0,3% de lacs et rivières, 30,8% d’eaux souterraines et d’humidité du sol, 68,9% de glacier et couverture permanente de neige. Les ressources en eau de surface se répartissent comme suit :

  • pour l’Afrique : 22.300 km3 dont 80% d’évaporation et 20% d’écoulement dans les rivières
  • pour l’Asie : 32.200 km3 dont 55% d’évaporation et 45% d’écoulement dans les rivières.

C’est une portion de ces quantités d’eau qui circule régulièrement entre l’atmosphère, les continents, les océans, en passant de la vapeur d’eau à l’eau de pluie, et à l’écoulement dans les rivières en respectant, à peu de chose près, la répartition quantitative que nous venons d’indiquer.

Au niveau de l’Afrique, compte tenu de la situation géographique, cette répartition ne se fait pas de manière uniforme. Ainsi, certaines zones reçoivent moins de 100 mm d’eau par an (ce sont les zones désertiques) et d’autres zones reçoivent plus de 1.500 mm d’eau par an (ce sont les zones équatoriales) et entre ces deux extrêmes, on trouve les zones semi-aride (environ 400 mm/an), les zones tropicales pures (environ 800 mm/an), les zones tropicales de transition (environ 1.000mm/an) et équatoriales de transition (environ 1.200 mm/an)

Compte tenu de l’allongement de notre pays, il comporte du nord au sud, toute une hiérarchie de zones variant de

  • environ 1.021mm (Kandi) à environ 1.313 mm (Cotonou)
  • inférieure à 900 mm à l’extrême nord
  • atteint environ 1.500 mm à l’extrême sud-est

La moyenne 1960-1990 (qui est souvent considérée) comme la moyenne de référence pour l’ensemble du pays est estimée à 1.039 mm.

On déduit à partir de ces données d’observation que le volume total des précipitations pour notre pays est d’environ 120 milliards de m3/an mais plus de 90% de cette eau tombant sur le territoire béninois se perd par évaporation ou par évapotranspiration (soit environ 110 milliards de m3).

  • les eaux internes renouvelables sont évaluées à 10 milliards de m3 (sous forme d’eau de surface, sans parler d’apport extérieur)
  • la recharge de la nappe est de l’ordre de 1,8 milliards de m3
  • et environ 1,5 milliard m3 de sert à l’échange entre les eaux de surface et les eaux souterraines
  • les apports extérieurs sont constitués par le fleuve Niger et d’autres cours d’eau venant de pays voisin que l’on peut estimer à environ 10 milliards de m3
  • le taux de dépendance du Bénin est d’environ 58,4%

Quelles sont les manifestations des changements climatiques au niveau de ces ressources au Bénin ?

Il se fait que depuis les années 1970, on a observé une baisse des précipitations dans nos régions. Sur le bassin de l’Ouémé, ce déficit est de l’ordre de 20%. Il se manifeste par une diminution du nombre d’évènements pluvieux. Les études ont montré que cette diminution de 20% au niveau des précipitations se traduit au niveau des ressources en eau, au niveau dans les rivières par une diminution d’environ 40%. Cela veut dire que la perte est encore plus accentuée à cause des différents processus physiques qui interviennent dans la transformation de la pluie en écoulement dans les rivières.

Quels sont les cas remarquables ?

Pour ceux qui sont d’un certain âge et qui ont la chance d’habiter les campagnes, ils constateront que certaines petites rivières qui coulaient régulièrement tous les ans ne coulent plus du tout. Pour d’autres rivières plus importantes, comme le fleuve Ouémé, mesuré dans les stations de Bétérou, de Savè ou de Bonou, le Zou à Atchérigbé ou l’Okpara à Kabou (pour ne citer que quelques stations de mesure), on constate que les périodes de basses eaux durent plus longtemps. Hors de nos frontières, le Niger qui est le plus grand cours d’eau de l’Afrique de l’Ouest, a cessé de couler pendant quelques jours entre 1984-1985. Or en temps normal, le Niger charrie un débit de 1.006 m3 /s en moyenne à Malanville contre par exemple 172 m3/s pour l’Ouémé à Bonou, ou 44 m3/s pour le Mono à Athiémé.

Mais, l’un des impacts négatifs les plus remarquables s’est fait sentir sur la production de l’hydroélectricité qui, à son tour, réagit sur d’autres activités économiques.

Quel est l’impact de ces changements sur les ressources en eau ?

De manière générale, il y a eu une diminution importante des ressources en eaux de surface (plus de 40%).

  • les périodes de basses eaux sont plus sévères
  • il y a une baisse du niveau des nappes phréatiques
  • il y a une augmentation du coefficient de ruissellement pour les petits bassins
  • il y a une augmentation de l’évaporation et une diminution des superficies de zones humides avec comme conséquences une réduction de la biodiversité, une réduction de la production halieutique.

Quel est l’état de la recherche par rapport à ce phénomène ?

Le problème de changement climatique ne concerne pas uniquement notre pays ou même l’Afrique. C’est un problème mondial. Voilà pourquoi au niveau mondial en dehors des actions politiques (négociations pour la réduction de gaz à effet de serre), un Groupe International d’étude des Changements Climatiques (GIEC) a été mis en place qui fait régulièrement des rapports sur les nouvelles connaissances sur le problème à partir des résultats de recherches des scientifiques réunis dans plusieurs grandes organisations des systèmes des Nations unies (Organisation Météorologique Mondiale, UNESCO, etc.) et du Conseil International des Unions Scientifiques (ICSU). Ces diverses organisations réunies leurs forces pour mettre en place des programmes comme le Programme Mondial de Recherche sur le Climat (PMRC), le Programme Mondial de Veille Météorologique (PMVM), le Système d’observation de changement global (GCOS) pour ne citer que ces programmes. Mais dans l’ensemble, les détails de l’évolution au niveau local ne sont pas spécialement pris en compte. On sait par exemple à partir des résultats de GIEC que l’Afrique connaitra une exacerbation extrême, mais il appartient aux chercheurs africains de faire des études appropriées pour identifier :

  • le niveau de vulnérabilité des différentes zones et des différents secteurs
  • l’impact futur des actions anthropiques sur le climat et l’impact de la modification des écosystèmes
  • et bien sûr les stratégies d’adaptation existant pour faire face jusqu’à présent à la variabilité et au changement climatique, ainsi que les stratégies d’adaptation à mettre en place ou à renforcer à partir de la projection des changements futurs de climat.

Pour ce qui concerne l’Afrique de l’ouest, plusieurs projets ont déjà été mis en place tels que le projet AMMA (Analyse Multidisciplinaire de la Mousson Afrique) et le projet IMPETUS (projet allemand). Le dépouillement des résultats d’observations faites par ces projets permettra (du moins nous l’espérons) de mieux comprendre ce que posent la variabilité et le changement climatique au niveau de notre pays et de l’Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, des travaux sont en cours aux niveaux de nos universités.

  • Une intrusion de langues salée à l’intérieur des lagunes côtières et des eaux salées dans les nappes phréatiques côtières.

Je n’ai parlé jusque-là que des conséquences sur les ressources en eau. Mais si l’on sait que notre agriculture est essentiellement pluviale, on comprend que la diminution des précipitations et/ou leur mauvaise répartition spatio-temporelle puissent conduire à l’effondrement de la productivité de l’agriculture, au problème d’insécurité alimentaire et à l’aggravation de la pauvreté.

Face aux impacts du phénomène, quelles sont les approches de solutions ?

C’est à ce niveau que se situe la grande question. Il faut d’abord savoir que, quel que soit le résultat des négociations sur le changement climatique, le phénomène ne peut plus s’arrêter brusquement. La situation que l’on connaît actuellement va continuer à perdurer pendant des dizaines d’années. Il faut donc se préparer à vivre avec, en essayant de s’adapter au changement climatique.

Il faut donc chercher à mettre en place les mesures d’adaptation, et de telles mesures ne pourront être efficaces que si l’on connaît bien comment se manifeste le changement. Il faut donc avant toute chose :

  • renforcer la connaissance que l’on a des manifestations du phénomène au niveau de l’Afrique, au niveau de notre pays, renforcer la connaissance des ressources eau
  • en second lieu, il faut mettre en place, les bases solides d’une gestion durable des ressources en eau, mettre en place une législation appropriée permettant de protéger les ressources et de mieux la répartir entre divers usagers
  • il faut éduquer et sensibiliser les populations

Quelles sont les actions réalisées ou envisagées par le PNE-Bénin ?

Bien que l’action du Partenariat National de l’Eau du Bénin soit multiforme dans le secteur de l’eau où un accent particulier est mis sur la nécessité de la mise en place d’un cadre de gestion intégrée des ressources en eau, je voudrais insister sur l’une des initiatives du PNE sur les impacts du changement climatique dans notre région. Le PNE-Bénin a en effet organisé avec le ministère de l’environnement et de la protection de la nature (MEPN) en juin 2007, une conférence internationale sur le climat. Plusieurs recommandations sont issues de cette conférence et ses recommandations ont fait l’objet de communication en conseil des ministres. La mise en œuvre de ces recommandations suivant les instructions du conseil des ministres pourrait permettre de poser les bases pour une adaptation durable aux impacts du changement climatique.

En outre, le PNE-Bénin contribue par ses actions aussi bien au niveau national que local à la mobilisation de la conscience collective sur la nécessité d’une gestion intégrée de nos ressources en eau.

De façon globale, peut-on espérer que le Bénin ou l’Afrique toute entière arrive à maîtriser le phénomène du changement climatique à l’instar des pays occidentaux qui intensifient les recherches ?

Il faut d’abord nuancer. Personne actuellement ne maîtrise le phénomène de changement climatique. On cherche plutôt à mieux comprendre ses manifestations pour mieux s’adapter. Sous cet angle, l’Afrique n’a pas le choix, il faut s’adapter au mieux ou périr. En effet, si l’Afrique se montre incapable de s’adapter, il sera impossible de réduire la pauvreté, les crises alimentaires, la malnutrition, etc. Si l’on sait qu’au stade actuel, la pauvreté pousse beaucoup de jeunes africains à aller rechercher un ‘’ hypothétique eldorado’’ en Europe, tout le monde connaît les résultats : les morts par noyage, les refoulements à la frontière, etc. L’un des moyens les plus efficaces pour fixer les jeunes africains en Afrique est de trouver les conditions propices à leur développement intellectuel et socio-économique et cela passe nécessairement par une meilleure adaptation aux impacts du changement climatique.

© Alain TOSSOUNON